L'histoire de la bière à Mons-en-Barœul


Une série de 4 articles publiés par Alain Cadet dans La Voix du Nord au mois d'août 2016

La bière, un patrimoine qui vient  de loin : les origines (1/4) 




Mons-en-Barœul abrite sur son territoire Heineken, l’une des plus grosses brasseries d’Europe.  C’est la dernière survivante d’une tradition brassicole qui vient de très loin.  Découvrez les origines de cette spécificité monsoise.

Sans que Mons prétende rivaliser avec Babylone (où on a retrouvé une recette de bière datant de 2001 avant J.-C.), on peut affirmer que les origines de la bière dans la commune sont très anciennes. Le sol était fertile et l’eau était excellente. L’endroit était idéal pour y installer une brasserie. Au milieu du XVIII e siècle, la commune ne comporte qu’environ 80 foyers pour 300 habitants. Malgré cette petite taille, on sait qu’il existait au moins une brasserie dans ce village. Un texte de 1749 nous renseigne sur le « toit vétuste » d’un établissement brassicole qui doit être remplacé.



Les tonneliers s’étaient installés dans le quartier du «Tape Autour». 
À droite, une brasserie monsoise en 1945.

Mons-en-Barœul est, à cette époque, un petit paradis fiscal qui permet aux Lillois de venir s’enivrer à bon marché.

Des circonstances historiques particulières expliquent aussi la bonne fortune des brasseries et des estaminets sur les rives du Barœul. Tandis qu’en 1713, la région devient française, une partie de Mons-en-Barœul demeure une enclave du Tournaisis, appartenant à l’empire hispano-autrichien. De telle sorte que, si les boissons alcoolisées souffrent de la taxation royale à Lille, elles sont trois fois moins chères à Mons ! Mons-en-Barœul est déjà, à cette époque, un petit paradis fiscal qui permet aux Lillois de venir s’enivrer à bon marché, au nez et à la barbe de l’octroi royal. Cette situation se révèle une véritable bénédiction pour Alexandrine de Brandt, seigneur de la communauté villageoise de la commune. Cette noble dame installe le long de la route de Lille (actuellement rue du Général-de-Gaulle) différents estaminets, et aussi à la frontière d’Hellemmes. Quand en 1769 un traité met fin à cette situation, le pli est pris. Brasseries et estaminets du territoire monsois vont croître et embellir jusqu’au début du XXe siècle.

Toute une économie locale se développe autour de la bière. Il faut pouvoir la transporter par véhicules hippomobiles dans les estaminets et chez les particuliers. Un artisanat du tonneau se crée, surtout dans le quartier que l’on appelle aujourd’hui « Tape autour ». Au début du XX e siècle, la liste des brasseries est impressionnante. Ce sont, pour la plupart, des établissements de très petite taille. Cependant, on dénombre quatre brasseries industrielles. L’une d’entre elles, installée dans la zone de la Pilaterie, va connaître un destin particulier : la Brasserie Coopérative de Mons, fondée en 1903.
Elle est à l’origine du site Heineken qui perdure aujourd’hui. A. C. (CLP)

Le quartier du « Tape autour »

Il est situé du côté du carrefour du Trocadéro et de la rue du Barœul. Au début du XX e siècle, l’endroit jouit d’une situation privilégiée. Il est traversé par l’actuelle rue du Général-de-Gaulle qui va de Lille à Roubaix. On y trouve le terminus de la ligne de tramway et de nombreux cafés dont le « Grand Trocadéro », sa piste de danse et son piano mécanique (il a été rasé ensuite au tout début des années 1960).

Il abrite aussi plusieurs brasseries, dont la principale est la Brasserie Coopérative de Mons. C’est l’endroit idéal pour y fabriquer des tonneaux à bière. Il n’y a pas loin pour trouver des clients.

Ces tonneaux étaient en bois et formés par des cercles métalliques chauffés au rouge que l’on faisait glisser à coups de marteau.

Il fallait taper tout autour de la pièce en fabrication et le quartier était très bruyant. D’où ce nom curieux : « Tape autour ».






La bière, un patrimoine : de la Coopérative aux temps modernes (2)



Mons-en-Barœul abrite Heineken, l’une des plus grosses brasseries d’Europe. C’est la dernière survivante d’une tradition brassicole qui vient de très loin. Aujourd’hui, la période de la Seconde Guerre mondiale.

La Brasserie Coopérative de Mons (BCM), fondée en 1903, connaît un essor rapide. Elle n’est coopérative que de nom et cherche surtout à profiter d’un statut fiscal intéressant. Elle est contrôlée par deux industriels, les époux Waymel. En 1920, elle est devenue l’une des plus importantes brasseries de la région du Nord.



À la Foire commerciale de Lille, du temps de la Brasserie de Mons.

À la Libération, tandis que le site de la Pilaterie tourne au ralenti, la Brasserie du Pélican est à l’étroit dans ses murs lillois.

Sommée de se mettre en conformité avec la loi, la Brasserie Coopérative change de nom et de statut en 1939. Elle devient la Brasserie de Mons, société anonyme. Lorsque la guerre survient, elle produit 250 000 hl de bière par an. C’est le plus gros site brassicole de l’agglomération.

Dans la période 1940-1945, la Brasserie de Mons périclite. Son directeur, au grand dam de Mme Waymel, la patronne, respecte à la lettre les injonctions de l’occupant allemand interdisant de se procurer des matières premières. À la fin de la guerre, la production de l’établissement est confidentielle et la Brasserie de Mons a perdu la quasi-totalité de ses clients.

De l’autre côté de la ville, près du port fluvial, une autre enseigne s’apprête à écrire la suite de l’histoire du site monsois : la Brasserie du Pélican, fondée en 1921. Elle est dirigée par Jean Deflandre (fils d’Armand, l’un des fondateurs, voir ci-dessous). En 1937, il a créé la Pelforth. Pendant la guerre, il n’a cure des interdits germaniques. Il achète toutes les matières premières disponibles. Et quand les stocks sont épuisés, il va même jusqu’à faire de la bière avec de la pomme de terre ou de la betterave à sucre ! À la Libération, tandis que le site de la Pilaterie tourne au ralenti, la Brasserie du Pélican, qui produit jour et nuit, est à l’étroit dans ses murs lillois. Pélican entre dans le tour de table de la brasserie monsoise et en prend progressivement le contrôle. En 1970, elle possède 95 % du capital. Dans ce nouveau berceau, le Pélican fait sa mue. Sa production va se moderniser, s’automatiser, se doter de machines performantes. Pélican opte pour un nouveau nom : Pelforth, bière emblématique de l’entreprise. À la fin des années 1960, la brasserie modernisée produit déjà 1 million d’hectolitres. A. CA. (CLP)


Jean Deflandre, industriel et créateur

Jean Deflandre avait été parfaire sa connaissance de la bière lors d’un tour d’Europe

Jean Deflandre possédait tous les atouts pour devenir le directeur des Brasseries du Pélican. Il était le fils d’Armand Deflandre, le patron fondateur. Mais c’était aussi un brillant maître-brasseur diplômé de l’École supérieure de brasserie de Nancy, la référence de l’époque.

Il avait également, dans le cadre d’une année sabbatique, très instructive et féconde, fait le tour des grandes brasseries européennes en Allemagne, en Belgique et en Angleterre.

C’est ainsi que, lors d’un stage à Copenhague (où est née la bière Carlsberg), il fait la connaissance de sa future épouse, la fille du directeur du laboratoire qui met au point les levures de la brasserie. Jean Deflandre n’acceptait aucune interview pour parler de ses activités industrielles mais se révélait très disert lorsqu’on l’interrogeait sur la fonction de consul du Danemark qu’il a occupée presque toute sa vie.

Discret et travailleur, Jean Deflandre modernise l’outil de production et imagine de nouvelles bières au goût du jour. Elles vont remplacer progressivement la gamme historique du Pélican, créée dans les années 1920 par son père, Armand. Jean Deflandre a été le principal artisan de la réussite de l’entreprise et de sa pérennisation sur le site de Mons.



La bière, un patrimoine : la brasserie Heineken aujourd’hui (3)

La brasserie se situe dans la bien nommée rue du Houblon, au cœur de la zone industrielle de la Pilaterie.




Mons-en-Barœul abrite Heineken, l’une des plus grosses brasseries d’Europe. C’est la dernière survivante d’une tradition brassicole qui vient de très loin. Aujourd’hui, on s’arrête sur le fonctionnement actuel de cet acteur de la vie monsoise.

En 1980, la brasserie Pélican - Pelforth est à vendre. Jean Deflandre souhaite cesser son activité et l’actionnariat morcelé rend le passage de témoin délicat. Pelforth est racheté par le groupe Glacières internationales - Compagnie du Midi, lui-même bientôt absorbé par Axa assurances et son sémillant président de l’époque, Claude Bébéar.

Le nouvel actionnaire est plus intéressé par les profits financiers à court terme que par la fabrication de la bière. C’est ainsi qu’il revend sa nouvelle acquisition au groupe Heineken qui en prend le contrôle en 1986. Ce fut une chance pour le site monsois et pour la préservation du patrimoine brassicole de la commune.

Le plus gros employeur industriel

Trente ans plus tard, avec 274 collaborateurs, la brasserie de la rue du Houblon – cela ne s’invente pas – est le plus gros employeur industriel de la commune. « Avec 3,2 millions d’hectolitres par an, en termes de volume, Mons est le centre de production le plus important d’Heineken Entreprise », estime Stéphane Crépel, le directeur de la brasserie monsoise. Après une période de croissance très modérée, la production est repartie à la hausse (2,8 millions d’hectolitres en 2014). On produit sur le site de Mons plus de 130 références parmi lesquelles, Desperados, Georges Killian’s, Affligem, Pelforth et, bien entendu, Heineken.

Si le centre de production de la région Hauts de France regarde vers l’avenir, il reste attaché à son passé. La gamme Pelforth garde une place de choix dans l’offre de la marque et dans le cœur des consommateurs. « Nous avons même, cette année, remis au goût du jour le symbole du Pélican et la marque historique que nous ne vendons pour l’instant que sous forme de fûts », commente Stéphane Crépel. « Les marques Premium, c’est-à-dire celles sur lesquelles se font l’essentiel de notre chiffre d’affaires sont produites ici et c’est une satisfaction pour l’ensemble du personnel du site, poursuit-il. Je vais embaucher cette année vingt nouveaux collaborateurs, comme cela a été le cas également, ces cinq dernières années. »



Un bilan carboné amélioré

La montée en puissance de la brasserie est passée par la restructuration du groupe et de sa production (voir ci-dessous). L’unité de production, proche de ses principaux clients qui sont le Nord-Pas-de-Calais et la région parisienne et de ses sous-traitants, Ball Packaging (Bierne) pour les canettes et Owens-Illinois (Wingles), pour les bouteilles verre de 25 cl, réalise une économie substantielle en termes de transports et une amélioration de son bilan carbone.
Tous les voyants sont au vert - couleur de la marque - pour l’avenir du site. A. CA. (CLP) La Voix du Nord

Un embouteillage repensé

Le groupe C5, créé en 2004, permet d’embouteiller 600 000 hl par an.

Afin d’améliorer la productivité, la synergie avec les sous-traitants comme l’adaptation aux bassins de clientèle, Heineken Entreprise a repensé et restructuré une partie importante de son embouteillage, qu’elle a localisée à Mons. Il s’agit, essentiellement, des groupes C3 et C5. Le groupe C5 est le plus ancien. Il a été créé en 2014. Il permet l’embouteillage des canettes de 25 cl de marque Heineken (le produit le plus vendu, en France, par le groupe). « Nous sommes capables d’y embouteiller de 500 000 à 600 000 hl par an, ce qui, pour Heineken représente une capacité importante de fabrication, assure Stéphane Crépel. Nous avons regroupé ici, dans une configuration plus performante, une production qui était auparavant répartie dans les deux autres sites, Marseille et Schiltigheim. » Un nouveau groupe, le C3, dédié à la marque Desperados, vient d’être ajouté au site monsois. « Nous comptons, dès cette année, arriver à une production de 250 000 hl sur cette nouvelle ligne. La mise en place des groupes C3 et C5 a été un travail collaboratif mené à partir des trois sites de Heineken Entreprise. Il s’est révélé payant ».



La brasserie de Mons en chiffres

3,2 millions d’hectolitres produits en 2016, soit presque la moitié des volumes de bière produits.
274 collaborateurs, soit 40 % de l’emploi régional dans l’industrie brassicole.
2 000 emplois indirects : 1 emploi direct génère 7 emplois indirects.
8 à 10 millions d’euros investis chaque année depuis 2010.
Plus de 130 références produites sur site dont Heineken, Pelforth, Desperados etc.
1 bouteille de la marque Heineken sur 2 vendues en France provient de la brasserie.
Plus de 3 000 points de vente, cafés, hôtels, restaurants, (CHR) fournis.
7 250 000 demis vendus par an.
Un concours de biérologie, créé en 2005, plébiscité chaque année par de nombreux candidats, élèves d’établissements hôteliers.


La bière, un patrimoine qui vient de loin et qui est bien mis en valeur (4)



Mons-en-Barœul abrite Heineken, l’une des plus grosses brasseries d’Europe. C’est la dernière survivante d’une tradition brassicole qui vient de très loin. Aujourd’hui, on s’intéresse aux traces que le passé brassicole a laissé dans la ville.

Les souvenirs de son passé brassicole sont encore visibles un peu partout dans la commune. Si la plupart des estaminets ont disparu, quelques cafés, comme celui de la Mairie qui appartenait encore il y a peu à Heineken Entreprise, existent toujours.



Beaucoup de ces brasseries du temps jadis ont été démolies tandis que d’autres sont devenues habitations.

La configuration de certains immeubles du vieux Mons indique à l’œil exercé l’usage ancien du bâtiment. Beaucoup de ces brasseries du temps jadis ont été démolies tandis que d’autres sont devenues habitations.

La seule qui perdure, Heineken, sur le site de l’ancienne Brasserie Coopérative de Mons, s’est beaucoup modernisée depuis le début du XXe siècle.

Une salle de brassage de 1928

Pourtant, à l’intérieur, même si l’endroit ne se visite pas de manière ordinaire, la salle de brassage de 1928 avec ses cuves en cuivre, inventoriée au patrimoine, a été parfaitement conservée comme un signe précieux du passé.


L’histoire locale de la bière, à Mons, a fait l’objet d’études et de recherches iconographiques qui nous informent avec précision sur le passé brassicole local. En 2000 paraissent les chroniques d’histoire locale Du village à la ville puis, en 2004 et 2008, les deux tomes de Mémoires en images.

Les auteurs appartiennent le plus souvent à l’Association Historique qui, outre ces ouvrages, publie également Histo-Mons, un bulletin d’histoire locale.

De ce point de vue, les Monsois qui s’intéressent au patrimoine brassicole sont chanceux puisqu’une seconde association, Eugénies, dont Jacques Desbarbieux (voir ci-dessous) est l’une des chevilles ouvrières, s’intéresse aussi au patrimoine.

Jacques et son site Internet sont devenus des références incontournables pour un public nombreux et même pour l’entreprise Heineken, lorsque celle-ci est à la recherche d’un renseignement, d’un document ou d’un objet.

Des ballades en calèche

Il faut aussi signaler les balades en calèche organisées par Micheline Jeanbart et Gérard Logez dans le cadre des Dimanches du Barœul et qui sillonnent la ville à la recherche des traces du passé. En 2012, le thème qui avait été choisi était celui des brasseries et estaminets. A. CA. ( CLP)

Sur Internet : http://associationeugenies.blogspot.fr et http://histo-mons.fr.
  
Jacques Desbarbieux veille sur le patrimoine brassicole monsois



Jacques possède des dizaines de pélicans de toutes tailles et de toutes couleurs et autres objets publicitaires produits pendant plusieurs décennies.

Jacques Desbarbieux, médecin généraliste à la retraite, possède de solides connaissances sur le corps humain. Mais il est aussi le spécialiste insurpassable du Pélican. Le Pélican dont il s’agit est celui des bières éponymes. Les Bières du Pélican ont été fondées en 1921, reprenant le titre d’un fox-trot à la mode.

Jacques possède des dizaines de pélicans de toutes tailles et de toutes couleurs et autres objets publicitaires produits pendant plusieurs décennies. Il collectionne les affiches, les plaques émaillées, les photos, les objets de comptoir, qui concernent les Bières de Mons, installées sur le site de la Pilaterie en 1903, suivies par Pélican, Pelforth puis Heineken.


Des origines à nos jours

À partir, de cette collection, unique, il est possible de reconstituer l’histoire de la bière sur le territoire de la commune depuis ses origines jusqu’à nos jours. « Je possède un peu plus de 1 000 pièces, rien que sur la bière, avoue Jacques Desbarbieux. Malheureusement, la maison ne comporte pas 1 000 pièces pour ranger tout ça ! »

En attendant des circonstances favorables pour mettre sur pied une grande exposition consacrée à l’histoire de la bière dans la commune, Jacques a réuni sur un site Internet dédié beaucoup d’images de ces objets, des photographies d’époque, des interviews, des articles de journaux et des commentaires éclairés.

Un lieu de visite incontournable pour tous les amoureux du patrimoine brassicole ! 
À consulter sans modération : http://brasseriesdemons.blogspot.fr.